Tentative désespérée

La clef se glissa dans la serrure qui gémit un petit déclic. Sa main délicate se posa sur le panneau de bois, rongé par le temps, qui s’écarta dans une plainte. Finalement, il y avait du positif à faire du bénévolat pour le conseil étudiant : le prêt du trousseau de clef lorsque l’on travaille au-delà des heures de cours.
La porte ne se referma pas totalement derrière lui, et alors? Ça ferait parti du jeu. Le garçon gravit un sombre escalier en colimaçon, conservant un silence presque religieux. Selon les rumeurs véhiculées par les élèves, la principale raison pour laquelle on interdisait l’accès au clocher était qu’il avait assisté au suicide de plusieurs désespérés. Quel honneur de perpétuer la tradition…

Le sommet se composait d’une petite pièce circulaire où la neige s’engouffrait par de larges fenêtres dont les volets battaient au rythme régulier du vent. En son centre reposait l’énorme cloche de cuivre, couverte de givre et de poussières. Kiwara s’avança jusqu’à la géante de métal. Lentement, il retira ses gants et en caressa la surface, ternie par les intempéries. Dommage qu’une chose aussi belle soit forcée au repos par la faute de jeunes hommes insensés…tel que lui.
Son cœur se serra. Encore le doute! Pourtant, il ne supportait plus sa vie, cette vie, série d’erreurs et de malheurs qui ne cessaient de se répéter : un véritable cercle vicieux. Les choses s’arrangeaient, puis, oh surprise!, un pépin l’attendait au tournant. Tout se dégradait pour ensuite s’adoucir. Le manège reprenait, tournant sans arrêt, jouant avec ses émotions comme on le fait avec une balle, allant venant, accumulant en son cœur plus de tourments et de souffrances. Donc, voilà, s’en était assez.

Miharu s’assied au bord de la fenêtre, les pieds ballants dans le vide. Quelques flocons de neige s’écrasaient sur son visage, fondant au contact de sa peau.

Que penserait Nakamura? Il s’agissait de son meilleur ami après tout. Le seul qui connaissait son terrible secret. Du moins, en partie…Il s’en remettrait. Enfin, Kiwa l’espérait. De toute manière, ses rechutes émotionnelles le lassaient probablement. De plus, un certain éloignement s’insinuait entres eux…comme par peur de se blesser l’un l’autre. Malheureusement, ça n’arrangeait en rien le moral chaotique de Miharu.
Ensuite, Rikou. Celui qui possédait tout et encore plus : la fierté, l’aisance en société. Si Kiwa lui avouait sa décision, il le massacrerait à coups de poings. Cette pensée fit fleurir un sourire aux lèvres de l’adolescent. Son frère se démarquait peut-être par son intelligence, mais lorsqu’il se retrouvait confronté aux problèmes quelconques qui pourrissaient la vie de son cadet, c’était une toute autre histoire. Soit il demeurait muet, soit il s’irritait, soit il s’en moquait. Disons que Rik’ agissait maladroitement face à ce genre de situations délicates. Également par crainte, celle de l’inconnu, celle de l’impuissance.
Finalement, restait Jeff.

Les joues de l’étudiant s’empourprèrent. Un sentiment de culpabilité le hantait depuis l’épisode des douches. Comme il regrettait sa réaction…chaque fois, à chaque damnée fois où il avait tenté de s’en excuser, la trop grande proximité de Pullman le troublait. Son rythme cardiaque s’emballait, la tête lui tournait et les mots s’aggloméraient au fond de sa gorge.

Soudain, il y eut une bourrasque. Un des volets fut entraîné par le vent et percuta violemment le dos du jeune homme qui perdit l’équilibre et disparut de son perchoir.

Les briques devenues râpeuse par la corrosion de la pluie et du dégel lui éraflèrent les paumes des mains. Dans un réflexe presque inespéré, Kiwa était parvenu à s’agripper afin d’éviter une mort instantanée. Que signifiait cette lute acharnée? S’il souhaitait réellement se suicider, il lâcherait tout et accepterait de tomber…alors…pourquoi?

"Aidez moi..."

Sa voix s’égara dans le tumulte du vent, inaudible. L’angoisse augmentait.

Mourir? Non, il ne voulait pas mourir! C’était absurde! Les occasions ne se faisaient pas rare, mais jamais il ne les saisissait. Il ne possédait pas ce courage ou cette lâcheté pour s’enlever la vie. Mais bon, jouer avec la mort peut devenir dangereux. Voilà donc que la fatalité s’abattait sur lui.

"Aux secours! Aidez moi quelqu’un…"

Inutile, personne ne connaissait son emplacement, personne ne songerait au clocher, car, malgré tous les mensonges qu’il se tissait pour se convaincre de continuer, Kiwara était seul, horriblement seul. Par sa propre faute. Il s’isolait et maintenant il en payait le prix.

"À L'AIDE!"

[Jeff, si par le plus grand des hasard tu as surpris Kiwa, alors je t'en prie, tu es le bienvenue! ]

[Jeff: Kiwaaaaaaaaaaaaaa !!!!!!!!!!!!!! @_____@ ]

Jeffrey Pullman... Savez-vous qu'en ses heures de déprave son activité principale est d'espionner Kiwara Miharu ? Non ? Et bien c'est à présent le cas. Comme à chaque fois qu'il croise le jeune homme s'en rien avoir à faire, il le suit. Aujourd'hui, après avoir aperçu sa fine silhouette au détour d'un couloir, il emboite son pas de loin, passant de mur en mur pour ne pas se faire remarquer. Mais le petit brun, apparemment trop pris par ses pensées, est loin d'imaginer la filature. Pourquoi il l'espionne ainsi d'ailleurs ? Aucune idée... Le fait est seulement qu'il y a quelques mois, il s'en est cruellement pris à lui dans les douches collectives. Et de cet instant il garde le souvenir d'un besoin de tendresse atroce, d'une envie démesurée de sentir ces bras frêles volontairement ouverts à sa présence.

Ses yeux d'un vert foncé et profond se ponctue d'étonnement quand il réalise que Kiwi-chou se dirige vers le vieux clocher, interdit d'accès. Et c'est sans cacher sa surprise qu'il constate que le bougre a même les clés du bâtiment ! Bâtiment tristement célèbre pour ses morts...
Toujours aussi discrètement, il suit le gamin dans les escaliers. Et c'est quand il se décide enfin à jeter un rapide coup de d'oeil au coin du mur qu'il aperçoit Kiwa au bord de la fenêtre, se faisant entraîner par le volet agité par le vent. C'est alors que son visage d'habitude froid et méchant se tire d'une moue horrifié.

"Ki'..."

C'est la seule chose qui réussit à sortir de ses lèvres avant qu'il ne se jète à la rescousse du jeune homme. Ses mains atteignent ses poignets dès que le dernier cri désespéré de Kiwara retentit. Il l'agrippe fermement et tire presqu'aisément le suicidaire repenti à lui. Il n'a pas d'autre choix que de le prendre dans ses bras pour le tirer définitivement. Mais malgré tout Kiwara n'est pas un enfant de six ans et pèse tout de même suffisament pour faire basculer Jeff en arrière. Il se retrouve ainsi coincé sous le petit brun qu'il observe, les lèvres entrouvertes, peu habitué à se faire surprendre de la sorte par les évènements.

Personne…non…personne ne viendrait. Puis, alors que son désespoir atteignait son paroxysme, deux mains l’agrippèrent aux poignets pour le tirer hors de danger. Encore en état de choc, Kiwa conserva les yeux solidement clos, même lorsqu’il eut regagné la terre ferme, son pauvre corps agité de tremblement resta allongé sur celui de son sauveur dont il ignorait encore l’identité, mais à qui il vouait une infinie reconnaissance. Lentement, ses paupières se levèrent, dévoilant ses deux prunelles vertes. Son regard ne put que s’écarquiller davantage lorsque, totalement pris au dépourvu, Miharu découvrit à qui il devait la vie : Jeff Pullman.
Le temps sembla stopper brusquement et le pauvre garçon manqua subitement d’air. Ses lèvres s’entrouvrirent dans un besoin vital d’oxygène tandis que les joues du châtain rosissaient.

"Jeff…"

Ce prénom prononcé à mi-voix remit les pendules à l’heure et le monde reprit son cour d’une manière accélérée comme pour rattraper son retard. L’espace d’un instant, Kiwara voulu s’enfuir, trop honteux pour demeurer en présence du blond. Deux fois. Deux méprisables fois où il apparaissait d’une manière grotesque devant ce cher Pullman. Que pensait-il de lui? Qu’il était ridicule, probablement…cette idée mêlée à son ébranlement moral donna naissance à une boule au fond de sa gorge.
Le jeune homme examina furtivement le visage de Jeff, tentant d’y saisir la moindre expression de mépris, moquerie ou dédain. Mais il n’en fut pas ainsi. Il y lisait plutôt une forme d’incompréhension, d’inquiétude même…probablement une illusion…du moins…

"Je…je…"

Son rythme cardiaque augmenta. Cette rencontre si…particulière signifiait sûrement quelque chose. Kiwa y vit une occasion pour avouer au vice-président ce qu’il désirait lui dire depuis des semaines. Seulement, fallait-il que les mots se décident à franchir ses lèvres.

"Je m’excuse…je m’excuse…"

Chaque phrase était un serrement au niveau de la poitrine, une douleur insupportable. Le garçon ne mit pas longtemps avant de craqué. Sa voix s’enroua rapidement, comme pour annoncer la venue des larmes. Celles-ci dégringolèrent bientôt de ses joues et vinrent s’échouer sur les vêtements de Jeff. Kiwara enfouit son visage au creux de l’épaule de l’autre étudiant, sanglotant bruyamment comme cet être misérable qu’il incarnait. Ses mains vinrent s’agripper désespérément aux habits du blond alors qu’il répétait ses «je m’excuse» au travers de ses hoquets et ses gémissement.

Rares avaient été les occasions dans sa vie de fils à papa où il avait ainsi été pris au dépourvu. Lui qui calcule toujours, sait à peu près ce que peuvent penser les autres de lui et ce qu'il leur inspire est résolument scotché au carreau devant la réaction de Miharu. A vrai dire, il ne s'attendait pas à ça mais à de la peur, ou de la colère voire une haine sans limite... Et voilà qu'il se heurte aux larmes de Kiwara et surtout, à ses excuses dont il ne connait pas le motif. Rapidement, il repense à toutes les raisons qui pourraient pousser le petit brun à agir de la sorte mais ne trouve pas.

Le grand blond arque un sourcil devant les paroles de Kiwara, puis l'autre quand le jeune homme se cale au creux de son épaule.

"..."

Il ne sait que dire, puisqu'il ne comprend pas la situation. C'est vrai quoi ! On ne s'attend que rarement à des excuses de la part de quelqu'un qu'on a violé...
Inerte comme une statue, bras le long du corps, indécis quand à l'attitude à adopter, il croit peut-être comprendre.

"Mais heu... T'excuses pas, c'est normal que je te sorte de là !"

Il a conscience d'être peut-être totalement à côté de la plaque...

Et l'autre sanglotte... Intérieurement il ne se le permet pas mais ses bras agissent en dépis de sa conscience et enlacent le suicidaire tandis qu'il se sert des ses ô combien alléchants abdominaux pour se redresser.

"J'ai un peu de mal à comprendre..."

Il se sent parfaitement idiot et a horreur de ça. Heureusement que c'est rare.
Et par la même occasion, ses entrailles se tournent lentement dans tous les sens. Combien de fois n'a-t-il pas rêver d'un instant pareil ? Serrer cette petite boule de douceur contre lui sans lui tenir les poignets pour ne pas qu'il s'échappe... Les images de l'épisode des douches lui reviennent en cascade et c'est triste à dire mais malgré lui, il commence à se sentir à l'entroit dans son pantalon... Que voulez-vous on ne se refait pas...
Et pourtant le blondinet serre les dents et se force à garder une respiration normale. Pour une fois, il a décidé de faire abstraction de ses pulsions.

Expérience faite, il n'aime pas voir pleurer Kiwa, pas du tout. Une de ses mains remontent le long du dos du jeune homme pour venir se glisser dans ses cheveux. Encore une fois, il ne réussit pas à garder de la distance mais en même temps, il se dit qu'il est de son devoir de consoler son camarade.

"Chhht... Ne pleure plus..."

Cette fois c'est maladroit qu'il se sent, et il en a également horreur. En plus...

*Raah j'suis trop gentil moi... --_____--*

Beaucoup seraient insultés d’une telle conduite, d’autre, ne comprendrait pas tout simplement. Une victime qui retourne docilement à son agresseur, il y a tout de même quelque chose de choquant. Mais Kiwara s’en moque éperdument. Blotti au creux des bras de Jeff, il s’abandonne à cette étreinte oh combien curieuse et pourtant si apaisante. Le désir alors, que se moment s’éternise à jamais, naît au fond de lui. Demeurer ainsi, tout contre lui, sans heurt, loin des regards et de ces manies si méprisantes qu’ont habituellement les humains. Il n’y existe aucun doute, aucune peur, pas plus de méfiance que de mépris. Ne reste que la douceur autrefois si ardemment espérée.
Bientôt, sa douleur cesse, étouffée par la chaleur de la caresse et Kiwa cesse de pleurer. Tous ces maux qui le hantaient depuis les derniers mois semblent s’être envolés pour ne laisser qu’un maigre souvenir d’une époque sombre mais résolue. Le jeune homme soupire d’aise, trahissant légèrement ce confort dans lequel il se vautre sans retenue, celui que lui offre le vice-président, un présent autant insoupçonné qu’agréable. Au bout d’un moment de silence, Miharu daigna accorder quelques paroles à son sauveur, qui venait d’accomplir davantage qu’il ne le pensait.

"Merci…merci d’être là…"

Pour le gratifier de se service, le garçon tendit le cou pour que ses lèvres rejoignent celle de Pullman. Ce geste le surprenait lui-même, prendre une telle initiative…cependant, la tentative tourna à l’échec lorsque son regard repéra une tache rouge sur les vêtements du blond. Dans son étonnement, Kiwa s’écarta de Jeff malgré lui. Avec le froid glacial qui régnait, il avait complètement oublié les blessures à ses paumes, tantôt complètement écorchées par la pierre. Du sang s’échappait des plaies et, par mégarde, le châtain en avait répandu les habits de Jeff.

"Pardoooon! Je m’excuse! J’ai taché ta chemise! Désolé! Je…"

Dans la panique, il défit son écharpe en tentant de nettoyer le tout en frottant…hélas. Les conclusions ne furent pas très fructueuses.

"Je…désolé…je ne suis vraiment qu'un bon à rien…"

Et voilà, des larmes pointaient encore aux coins de ses yeux. Pas qu’il soit sensible, mais bon, le pauvre n’était pas encore tout à fait remis et dieu sait que l’on se trouve alors plus susceptible de pleurer pour un rien.

Le vent siffle toujours, projetant sur eux de moutonneux flocons de neige. Les bras autour du corps qui par sa position le domine, il attend patiemment que Kiwara se calme. Lui a les yeux perdus dans le vide. Il scrute sans les voir les dalles indécises sous la fenêtre qui lui fait face et que de justesse vient de manquer de lui enlever cet être étrange qu'est Kiwara. Du bout des doigts, il progresse dans la chevelure ébène du jeune homme et c'est au bout d'un moment de silence que le suicidaire décide de délier sa langue.
Merci ?... Il le remercie ?... Pour ce qu'il vient de faire d'accord mais... Les remerciements de Miharu sonnent bizzarement, comme s'ils avaient une profondeur insoupçonnée, bien dissimulée. Encore une fois contre toute attente, il voit le visage du brun s'approcher tendrement du sien... Aurait-il perdu la raison ? Aurait-il oublié le viol ? Peut-être en redemandait-il après tout... Mais Pullman fronce des sourcils. Non, ce n'est pas ça, pas de la part de Kiwara...
Il n'oppose aucune résistance tandis que l'autre se rapproche, plus dans l'attitude de quelqu'un qui n'arrive pas à croire ce qu'il lui arrive que de celle d'un être docile qui se laisse faire...

Il entend comme le bruit d'un verre qui se brise quand Kiwa se redresse subitement et s'excuse à nouveau, presqu'avec hystérie. Il n'arrive pas à réagir, peut-être engourdi par le froid ou trop abasourdi par la tournure des évènements.
Et voilà que le sauvé in extremis défait précipitament son écharpe et étale du sang en frottant sa chemise.

"Mais..."

Et voilà qu'il se traite de bon à rien et recommence à pleurer.

"Ca suffit."

Le ton sec et le regard sévère, Jeff attrape l'écharpe et l'enroule le plus délicatement du monde au cou de son propiétaire.

"Remets-moi ça, tu vas attraper froid."

Et sans lui demander son reste, il cherche la cause de ce sang. Il la trouve rapidement en agrippement vivement les mains de Miharu.

"Tes mains sont en sang c'est malin."

Il se relève et entraîne avec lui le suicidaire qu'il plaque contre un pillier de pierre. C'est seulement à une poignée de centimètres que son visage s'immobilise face au sien. Il ne dit rien tandis que ses yeux d'un vert émeraude glacial dévisage le plus jeune. Pendant une fraction de secondes on aurait pensé que leurs lèvres allaient s'allier... Mais le silence brutalement abbatu sur eux s'envole quand le vice-président reprend d'une voix sans réplique et dure.

"Que vas-tu inventer pour justifier tes blessures aux mains devant l'infirmière ? Sûrement pas que tu as chippé le trousseau magique pour aller faire un tour au clocher interdit !"

A nouveau et sans lui laisser le temps de parler, il s'empare de ses doigts gelés et examine de plus près ses paumes.

"Un petit bandage et tout ira mieux. Viens."

Et même s'il a une quelconque objection à émettre, le blond ne lui en accorde ni le temps ni le droit. Il choppe son poignet et l'entraîne avec lui dans les escaliers qu'il dévale en vitesse.